
Agnès Morice, 62 ans, est auxiliaire de vie sociale (AVS) pour l’association Garde et Aide à domicile de Saverne, dans le Bas-Rhin, qui compte en moyenne 180 bénéficiaires. Ce matin, elle se rend à Gottesheim, à 12 km du siège, chez Madame Dudt, 86 ans, pour l’aider au lever, l’installer dans son fauteuil roulant et lui préparer son petit-déjeuner. L’octogénaire est allongée dans un lit médicalisé, au milieu du salon où trône un imposant buffet couvert de bibelots et de photos de famille. Quelques mots échangés en alsacien et le transfert commence… « Vous arrivez à sortir les jambes ? », « C’est bien. On va enfiler les chaussons. », « Posez les mains sur la poignée de traction. Vous pouvez vous soulever ? », « Hop là ! Ça y est vous êtes assise. Tournez-vous sur le côté, asseyez-vous sur le bord du lit, penchez-vous en avant… », « Hop là ! Très bien. Vous êtes debout », « Accrochez-vous à la barrière du lit, reculez jusqu’à sentir le fauteuil. Ça y est, vous y êtes. Vous êtes en forme ce matin ! ».
Le déplacement aura nécessité cinq minutes, une succession de questions et de consignes, rythmée par des encouragements… mais aucun portage, tout au plus un ou deux contacts de la main, sur le bras ou le dos de la bénéficiaire, pour la stimuler ou accompagner son mouvement. Comme les 35 AVS de l’association, Agnès Morice a suivi la formation Prap 2S intégrant l’apprentissage de la démarche ALM. « Lorsque j’ai débuté en 1992, on nous apprenait à lever la personne en se positionnant face à elle, en l’entourant de nos bras et en la portant, se souvient l’AVS. Avec la démarche ALM, un immense bond a été réalisé. Moi qui avais souvent mal aux dos, les lombalgies ont disparu. »
Autant d’environnements de travail que de domiciles
Chez Madame Dudt comme chez tous les bénéficiaires chez qui elle se rend, pour chaque déplacement à réaliser, Agnès Morice commence par évaluer l’environnement et les capacités de la personne : « Là, je savais que l’infirmière à domicile était passée avant moi, donc Madame Dudt avait déjà été mobilisée. Et avant même que je lui demande quoi que ce soit, elle devançait mes consignes, se montrait volontaire, commençait à bouger les jambes… Autant d’indications sur ce qu’elle était capable de faire. » Pour ce qui est de l’environnement de travail, chaque domicile a ses propres spécificités.

Lorsqu’une famille fait appel à l’association, l’une des deux responsables de secteur se rend sur place afin de préciser les besoins, faire une évaluation des risques et suggérer éventuellement des améliorations : réaménagement de la chambre, élargissement des portes, location de matériel (verticalisateur, lève-personne…). « Dès le départ, nous expliquons la démarche ALM aux familles, en nous appuyant sur des documents de la Carsat et de l’INRS, ajoute Rachel Schlegel Lambert, la directrice de l’association. Il y a parfois des freins, car les aidants ont leurs habitudes et pensent savoir quelle est la bonne façon de faire. Il faut alors être pédagogue, expliquer pourquoi tel changement est nécessaire, pourquoi on a besoin d'un peu plus de temps pour réaliser l’acte… C’est essentiel que les familles adhèrent. Nous sommes convaincues : la démarche ALM va de pair avec notre démarche qualité. »
À l’accueil de l’association, à Saverne, des livrets explicatifs à la disposition des visiteurs confirment cet engagement. La direction a décidé de former toutes les AVS depuis 2017, y voyant une solution pour les préserver des TMS et des accidents de travail, fréquents dans la profession, et ainsi réduire le turn-over. « Cela s’inscrit dans une démarche globale de prévention des risques », pointe la directrice. Pour faire vivre la démarche ALM au quotidien, l’une des deux responsables de secteur, Françoise Kuhn, a reçu une formation d’animatrice prévention en 2022. Puis un poste a été spécifiquement créé en 2024.
S’appuyer sur les remontées de terrain
La situation et les capacités des bénéficiaires étant susceptibles d’évoluer avec le temps, les procédures établies au départ ne sont pas gravées dans le marbre. Des réunions mensuelles ont lieu entre les AVS, les responsables de secteur et l’animatrice prévention pour faire le point sur chaque situation. « On se sent vraiment soutenues par les encadrantes, se réjouit Aurélie Baader, AVS depuis 2013. Si on observe des difficultés sur le terrain, une barre de douche manquante ou fixée au mauvais endroit, des capacités dégradées d’un bénéficiaire qui nécessitent de revoir la mission… On fait remonter grâce à des fiches spécifiques et on cherche ensemble une solution. » Si besoin, les responsables de secteur reprennent rendez-vous avec les familles pour proposer des changements. « L’utilisation d’un verticalisateur, par exemple, est parfois difficile à accepter pour les proches et le bénéficiaire, remarque Sophie Nonnenmacher, responsable de secteur. Là encore, il est nécessaire de prendre le temps d’expliquer et d’accompagner. » Il est en outre possible de tester le matériel pendant une semaine avant de prendre une décision.
Si certains aidants sont réticents au départ, d’autres sont immédiatement conquis par la démarche ALM. C’est le cas de Christophe Niess-Nachez, qui accueille chez lui sa belle-mère de 87 ans : « Si on bénéficiait de la même formation en tant qu’aidant, cela nous faciliterait le quotidien. » Aujourd’hui, c’est Gabrielle Gentner, AVS et infirmière de 60 ans, qui vient faire prendre sa douche à Madame Nachez. Celle-ci a récemment fait un séjour à l’hôpital après une chute et elle recouvre progressivement sa mobilité. Enfoncée dans son fauteuil, elle est en train de lire un quotidien allemand lorsque Gabrielle lui apporte son déambulateur à quatre roues.
Là encore, quelques consignes suffisent pour que la bénéficiaire se lève sans manutention de l’AVS. Madame Nachez marche ensuite avec son déambulateur jusqu’à la douche, guidée par Gabrielle Gentner qui lui rappelle régulièrement de se redresser. Une porte coulissante facilite l’entrée dans la salle d’eau. Pendant la douche, Christophe Niess-Nachez nous fait visiter la chambre de sa belle-mère : le lit est installé contre le mur, où sont affichées des photos d’elle et de son mari, décédé il y a plusieurs années. « Elle ne le reconnaît pas toujours… Mais cela crée un environnement accueillant. Au départ, nous avions mis son lit au centre, cela nous semblait plus agréable, mais ce n’était pas pratique. Désormais, il y a de la place pour manœuvrer son déambulateur. »
La douche terminée, Gabrielle Gentner accompagne Madame Nachez jusqu’à la cuisine, pour jouer aux petits chevaux, l’une des passions de l’octogénaire, avec les mots croisés. « Nous accordons une grande importance au projet de vie des bénéficiaires et la démarche ALM, qui permet de préserver au maximum leur autonomie, s’intègre parfaitement dans cette philosophie », confie Rachel Schlegel Lambert.
Dans quelques mois, toute l’équipe suivra une journée de formation de recyclage. « C’est important d’avoir ces piqûres de rappel pour continuer à s’améliorer, relève Laure Brochard, ingénieure-conseil et référente Aide et soin à la personne à la Carsat Alsace-Moselle. L’un des intérêts de la démarche ALM, et on le voit en observant les AVS de tous âges de cette association, c’est de permettre le maintien des professionnels longtemps en emploi et en bonne santé. »
PRIORITÉ À LA FORMATION
La directrice de l’association, les deux responsables de secteur, l’animatrice prévention et les AVS : toutes ont reçu la formation Prap 2S et sauveteur secouriste du travail (SST) et suivent un recyclage tous les ans. Les salariées détiennent également le Certificat d’aptitude routière aux déplacements professionnels, dit Card Pro. En outre, chaque année, les AVS font des souhaits de formations à la direction. « En fonction de ces vœux et des sujets qui nous semblent pertinents à approfondir, nous proposons un plan de formation annuel. Les thématiques sont variées : focus sur une pathologie (fondamentaux de la maladie d'Alzheimer et maladies apparentées…), sur les projets de vie, la bientraitance… », détaille Rachel Schlegel Lambert, la directrice. Les sessions sont suivies par toute l’équipe, encadrantes comprises. « Cela nécessite de s’organiser pour assurer la continuité de service auprès des bénéficiaires car cela nous monopolise plusieurs jours dans l’année. Mais ça en vaut la peine. »