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Construction et fabrication dans la filière bois

Des risques multiples et des spécificités métiers

Poussières de bois, manutentions, utilisation de machines et outils dangereux, chutes de plain-pied ou de hauteur… En atelier comme sur chantier, les travailleurs de la filière bois sont confrontés à de nombreuses situations à risques. Si une forte sinistralité est observée en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles, des actions sur l’organisation du travail, les équipements et les locaux sont possibles.

7 minutes de lecture
Grégory Brasseur - 28/10/2025
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Vue d'une situation de travail dans la filière bois.

Un menuisier se tranche un doigt au cours d’une opération de rabotage avec une dégauchisseuse sans protecteur. Dans une autre entreprise, alors qu’il tente d’éteindre un incendie dans un silo de sciure et de copeaux, un deuxième menuisier est projeté et brûlé au troisième degré, victime d’une explosion. Ailleurs, c'est un charpentier intérimaire qui perd la vie sur un chantier de pose d'une ossature bois en façade, après le décrochage d’un panneau au cours d’un levage… Ces accidents, tirés de la base de données Epicéa, témoignent de la gravité des accidents observés dans la filière bois. Si la filière comprend de nombreuses activités, ce dossier sera consacré spécifiquement aux métiers de la construction et de la fabrication en bois.

En 2023, selon la Caisse nationale d'Assurance-maladie (Cnam), alors que l'indice de fréquence des accidents du travail (qui rapporte le nombre d'accidents de travail pour 1 000 salariés) s’établit à 26,8 tous secteurs confondus, il est de 40,2 dans la fabrication de meubles et 57,9 pour l’ensemble des activités de travail du bois en atelier. Dans la construction bois, il atteint 64,2 pour les travaux de menuiserie bois et PVC, et même 86,4 pour les travaux de charpente. La plupart des accidents sont des chutes ou des accidents liés aux manutentions et à l’utilisation d’outils portatifs.

Les salariés de la filière sont également confrontés à l’utilisation de machines pouvant provoquer des coupures et blessures, au bruit, aux intempéries lors de chantiers à l’extérieur, ou encore à des risques d’incendie ou d’explosion liés à l’empoussièrement, au manque d’entretien des équipements ou aux installations électriques. Les risques chimiques sont également éminemment présents avec les poussières de bois et l’utilisation de produits de traitement du bois (colles, vernis, peintures…), appliqués notamment au cours des phases de finition.

Un nécessaire état des lieux

« Si 90 % des maladies professionnelles dans la filière sont des troubles musculosquelettiques, les poussières de bois restent la deuxième cause de cancers (NDLR : voir à ce sujet l’encadré ci-contre) reconnus au titre de maladie professionnelle, pour l'ensemble des salariés, après l’amiante », rappelle Frédéric Fayard, ingénieur-conseil à la Carsat Rhône-Alpes. Sur la période 2019-2023, l’organisme a déployé un programme régional de prévention ciblant la construction bois, un domaine en mouvement, porté notamment par les politiques environnementales et sociales. « À partir d’un état des lieux initial permettant d’élaborer un plan d’actions et de les suivre, l’objectif était d’accompagner 50 entreprises de cette activité. Elles pouvaient bénéficier d’une subvention TPE régionale, poursuit l’ingénieur-conseil. Cet état des lieux, à partir d’une grille d’audit portant sur l’organisation de la prévention, les ateliers, la gestion des flux et les chantiers, a permis de mieux saisir la réalité du terrain, en particulier les points forts et les axes d’amélioration à privilégier. »

L'AVIS D'EXPERT DE...

Laureline Coates, experte d’assistance médicale à l’INRS

« Les poussières de bois peuvent avoir des effets sur les voies respiratoires, la peau et les yeux. Elles sont classées cancérogènes (groupe 1) par le Centre international de recherche sur le cancer pour le cancer de la cavité nasale, des sinus de la face et du nasopharynx. Elles peuvent aussi être à l’origine d’autres atteintes des voies respiratoires comme des rhinites irritatives ou allergiques, de l’asthme... Au niveau de la peau, elles peuvent provoquer des dermatites de contact allergiques ou irritatives et, au niveau oculaire, des conjonctivites. Les affections professionnelles provoquées par les poussières de bois sont reconnues au titre du tableau 47 des maladies professionnelles du régime général de la Sécurité sociale. Il est important de préciser que certains effets sur la santé peuvent apparaître longtemps après l’exposition, jusqu’à plusieurs dizaines d’années, par exemple, pour le cancer naso-sinusien. Les travaux qui exposent aux poussières de bois inhalables figurant dans la liste réglementaire des travaux ou procédés exposant à des agents cancérogènes, les travailleurs concernés sont soumis à un suivi individuel renforcé. Le suivi de leur état de santé pendant et après l’exposition professionnelle est essentiel. »

Exemple : certaines entreprises, bien qu’ayant réalisé leur document unique d’évaluation des risques professionnels et identifié les risques liés aux manutentions et aux poussières de bois, peuvent par ailleurs sous-estimer le risque de chutes de hauteur, y compris pour des travaux de charpente. Dans la plupart des ateliers de préfabrication, des réseaux de captage des poussières de bois avec rejet à l’extérieur existent et des aires dédiées au montage et à la manutention sont prévues… mais le captage des poussières lors de l’utilisation d’outils portatifs est insuffisant. Le risque machine reste prépondérant et des insuffisances persistent en termes de contrôles de la performance des réseaux d’aspiration ou de respect de la réglementation Atmosphère explosive (Atex). En matière de manutentions aussi, des lacunes subsistent, tous les ateliers ne sont pas équipés en ponts roulants ou aides mécanisées. Et, sur les chantiers, des améliorations peuvent être apportées sur la protection contre les chutes de hauteur, la présence d’équipements pour les travaux de petite hauteur et les bases vies.

Vue d'une situation de travail dans la filière bois.

« L’action que nous avons menée a permis de faire progresser 60 % des entreprises identifiées sur deux items significatifs. D’autres entreprises de la filière ont pu bénéficier de la subvention TPE. Un long chemin néanmoins reste à parcourir », reprend Frédéric Fayard. En parallèle, des actions transversales ont été menées avec des partenaires tels que Fibois AuRa, l’interprofession de la filière forêt bois en région Auvergne-Rhône-Alpes, ou encore l'Institut technologique forêt cellulose bois-construction ameublement (FCBA) pour l’évaluation de l’exposition aux poussières de bois et l’OPPBTP pour la formation des encadrants et du personnel.

Une offre de prévention dédiée

« Il y a besoin de faire connaître les métiers et formations. La filière est caractérisée par nombre important de petites entreprises qu’il faut accompagner pour qu’elles se transforment et fassent évoluer leurs conditions de travail, explique Bénédicte Muller, chargée de mission emploi-formation à la Fibois Aura. Travailler à la réduction des risques et de la pénibilité peut aussi contribuer à l’attractivité du secteur, dans un contexte de tension des recrutements. »

En 2021 et 2023, deux webinaires ont été construits avec la Carsat Rhône-Alpes, afin de présenter les bonnes pratiques de prévention, les dispositifs de financement existants pour l’acquisition de matériel ou la mise en place d’une démarche de prévention avec des témoignages de professionnels. Des interventions lors de tables rondes, dont une sur les risques chimiques, ont été organisées deux années consécutives sur le salon Eurobois, « un rendez-vous majeur pour les acteurs de la filière », souligne Bénédicte Muller. L’occasion de promouvoir les ressources proposées par l’Assurance maladie-risques professionnels.

Des offres sectorielles ont ainsi été spécifiquement conçues par l'INRS pour les secteurs de l’emballage, de la menuiserie/ébénisterie/ameublement (en partenariat avec l’Ameublement français et la FCBA) et les scieries (en partenariat avec la MSA). Des outils interactifs (dispositif Oira) sont également proposés en ligne, pour l’ameublement, l’emballage et les scieries, afin d’aider les petites entreprises à faire leur évaluation des risques, réaliser leur document unique et construire leur plan d'action de prévention, en associant dès le départ les salariés et en tenant compte de toutes les phases de travail. Enfin, des outils « Tutoprév' accueil » sont disponibles pour les activités scierie, menuiserie et charpente afin d'aider à la formation des nouveaux arrivants.

Décliner les principes généraux de prévention

Avec ce bagage, la démarche à mettre en œuvre nécessite de suivre les principes généraux de prévention. La priorité étant la suppression du risque, quand cela est possible. « Dans la construction bois, pour supprimer le risque de chute et limiter la coactivité, on pourra par exemple privilégier la préfabrication en atelier et l’assemblage des pièces sur des plans de travail avec des moyens de manutention adaptés plutôt que sur chantier », remarque Thibaut Gaillard, co-gérant de la PME Lignotoit, spécialiste de la charpente et de la couverture dans l’Ain. À l’occasion de projets de conception ou du réaménagement des ateliers, des mesures doivent être prises pour isoler les opérations polluantes, simplifier les flux, travailler sur le captage à la source des poussières de bois.

Vue d'une situation de travail dans la filière bois.

La protection collective doit toujours être privilégiée : moyens de manutention mécaniques (grues, potences, palans, palonniers à ventouse, convoyeurs à rouleaux, tables élévatrices motorisées…), machines protégées (carters) et dotées de systèmes de captage des poussières à la source, utilisation de protections pour les travaux en hauteur… Quand elle ne suffit pas, des équipements de protection individuelle adaptés doivent être fournis. Enfin, la formation et l’information des opérateurs à l’ensemble des risques sont nécessaires.

« Parmi les points de vigilance, il est important que le nettoyage des machines et de l’atelier soit réalisé par aspiration, en proscrivant les balais et soufflettes pour éviter la remise en suspension, insiste Bruno Courtois, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Concernant les moyens techniques mis en place, il est également essentiel de les entretenir et les maintenir en conformité, afin qu’ils restent efficients, et de renouveler régulièrement la formation des travailleurs. »

QUAND L’INNOVATION POUSSE LA PRÉVENTION


© Grégoire Maisonneuve pour l'INRS/2025

À Beaupréau-en-Mauges, dans le Maine-et-Loire, l’entreprise Daucalis, spécialisée dans la menuiserie bois haut de gamme, répond à des défis logistiques de plus en plus complexes. « Présents depuis la définition des besoins jusqu’à la pose sur chantier, nous sommes sollicités pour notre savoir-faire artisanal sur des produits atypiques, pour la création de menuiseries  ou la restauration de monuments patrimoniaux,  avec un grand nombre d’opérations en Île-de-France », évoque Christophe Gaboriau, fondateur et gérant  de cette PME qui emploie une trentaine de salariés.  De plus en plus techniques et lourds (certains  sont hauts de 4 mètres et pèsent jusqu’à 300 kg), 
les ouvrages fabriqués – menuiseries coupe-feu, pare-balles, de désenfumage ou à retard  à l’effraction… – exigeaient de s’attarder sur  les conditions de pose. « Chaque chantier nécessite des moyens de levage et d’approvisionnement différents. Que l’on intervienne dans un château,  un appartement ou un hôtel particulier parisien, nous avons été dotés de solutions pour couvrir  les différents cas de figure », décrit Freddy Charrier,  chef de chantier. Après plusieurs tests, deux types  de chariots de levage ont été choisis avec les équipes. Le premier, équipé d’un palonnier à ventouses  et monté sur pneus, s’adapte aux sites occupés.  « On installe la menuiserie nue, puis on vient poser  les vitrages avec le chariot, ce qui évite de se mettre  à trois pour porter », reprend le chef de chantier.  Un chariot à fourche est quant à lui utilisé pour la pose de menuiseries asymétriques, en réhabilitation lourde. Parfois, une grue araignée est louée pour  le levage des ensembles volumineux. En complément, l’usage d’exosquelettes a été exploré pour les poseurs. Côté atelier, Daucalis a investi en 2021 dans  un palonnier à ventouses pour la vitrerie. « Des visites  chez des confrères équipés ont permis de le tester. On ne fait pas de tels investissements sans s’assurer de l’adhésion des collaborateurs », insiste le gérant, déterminé à appliquer la même philosophie au projet d’extension d’atelier actuellement sur la table. Un palonnier à poutre traversant pourrait permettre d’acheminer les matériaux entrants jusqu’à la scie.  Mais il faut s’accorder le temps de l’analyse  des besoins et d’une réflexion collective sur l’organisation. Bref, ne pas se précipiter.

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