À Poisy, en Haute-Savoie, l’ébénisterie Technics d’Agencement met son savoir-faire artisanal et sa technicité au service de noms prestigieux comme Hermès, Richard Mille ou Messika. En 2020, l’entreprise et ses 74 collaborateurs ont investi de nouveaux ateliers, où ils conçoivent et réalisent du mobilier d’exception destiné aux boutiques de luxe, à l’hôtellerie haut de gamme ainsi qu’à des résidences privées. « Nous étions dans l’anticipation de croissance, affirme Fabien Fournier, le responsable des opérations. J’ai supervisé le transfert depuis les deux sites que nous occupions à quelques kilomètres d’ici, de la partie étude à la mise en service. Le déménagement nous a permis de doubler la surface de production, actuellement 4 000 m2, mais nous avons toujours été convaincus que les enjeux de productivité étaient fortement liés aux enjeux de santé et sécurité au travail. »
À l’époque, trois priorités se dessinent en matière de santé et de sécurité au travail : une mise à niveau de l’aspiration des poussières de bois, la gestion des solvants et la maîtrise des flux d’air aux étapes de finition (laquage et vernis), ainsi que le déploiement d’aides à la manutention pour prévenir les troubles musculosquelettiques (TMS). « L’entreprise nous a contactés en septembre 2019. Elle voulait des conseils et connaître les possibilités d’aides financières, précise Frédéric Fayard, ingénieur-conseil à la Carsat Rhône-Alpes. Le laboratoire interrégional de mesures chimiques est intervenu pour faire des préconisations sur le réseau d’aspiration des poussières de bois pour les machines fixes, les cabines de laquage et vernis, le sas de séchage des pièces et le local de stockage des produits chimiques. Un contrat d'aides a été signé pour ces installations. Dans le cadre d’un programme de construction bois, une subvention prévention a également permis de participer à l’achat d’une potence avec palonnier à ventouses, de rayonnages métalliques pour stocker des panneaux, de deux tables élévatrices, d’un transpalette électrique ainsi que la mise en place de formations. »
Parfaitement dimensionnée
« Nos machines fixes sont toutes raccordées au réseau d’aspiration à débit variable, des trappes pneumatiques étant asservies à leur démarrage. L’intérêt, par rapport à un dispositif on/off comme nous avions précédemment, est double : être certain, lorsque le process se lance, que les poussières sont captées, et adapter les flux d’air, et donc la consommation d’énergie, au besoin », précise Fabien Fournier. À l’extérieur du bâtiment, Janis Butlers, apprenti hygiène sécurité environnement et amélioration continue, se trouve devant la station de filtration, conforme à la réglementation Atex. « Les poussières et copeaux collectés à travers le réseau passent, après filtration, dans un convoyeur et sont acheminés en circuit fermé vers une benne, directement chargée sur camion en vue de leur valorisation, sans intervention manuelle humaine », explique-t-il.
DES ROUTINES STRUCTURANTES
Janis Butlers est alternant sur le volet HSE pour deux ans. « C’est un relais essentiel pour mettre en place les actions en fonction de la politique du groupe et des spécificités métier. Il anime les points sécurité et les causeries », explique Anissa Ourif, DRH et référente santé et sécurité du groupe Lindera. Depuis l’été dernier, les causeries, organisées avec les managers opérationnels, partent soit d’accidents survenus dans le groupe, soit d’une thématique spécifique, soit de rappels de procédure. Elles seront complétées par deux nouvelles routines managériales : les points prévention de sécurité managériale (20 minutes d’observation de l’activité d’un compagnon par un manager puis dialogue autour des points forts, des contraintes et des besoins) et les audits de site. « Systématiquement, les règles théoriques ont besoin d’être confrontées à la pratique », estime Fabien Fournier, responsable des opérations.
Côté atelier, l’apprenti pointe les boîtiers multi-énergies posés sur dosseret au niveau de chaque établi ou encore sur potence articulée au poste de remontage, où une opératrice réalise l’assemblage de toutes les pièces préparées. « L’agencement de ce poste est un peu différent car il nécessite de l’espace et de la mobilité », explique-t-il. Les boîtiers multi-énergies répondent à un enjeu majeur : proposer au plus près des postes de travail l’électricité, l’air comprimé et l’aspiration. Les opérateurs y raccordent leurs ponceuses et autres outils portatifs, connectés à un réseau d’aspiration haute dépression indépendant du réseau des machines fixes. Mais malgré cela, certains ébénistes ont signalé, à l’usage, des problèmes d’encombrement autour des établis, et un nombre encore important de tuyaux au sol.
Une succession de petits pas
« Une étude a été lancée, aboutissant à la création d’un prototype de poste, testé pendant six mois. Nous avons créé des tranchées dans la dalle pour incorporer les réseaux et ainsi prévenir les chutes de plain-pied. Il est important, même après les années charnières qui ont conduit au déménagement, de maintenir l’écoute et de travailler à l’amélioration continue, soutient Fabien Fournier. La prévention n’est pas nécessairement une révolution. C’est essentiellement une succession de petits pas. » Et l’entreprise en récolte les bénéfices. « Entre 2021 et 2024, nous avons fait chuter notre taux de fréquence des accidents du travail de 70 à 9,5 », souligne Anissa Ourif, la directrice des ressources humaines et référente santé-sécurité du groupe Lindera, que l’entreprise a intégré en 2019.
« J’ai le top en matière de cabines. » Responsable du pôle finition, Gildas Debrecky nous accueille dans son domaine. « Tout a été fait pour ne pas travailler dans une atmosphère polluée », indique-t-il. D’un côté, il dispose d’un espace ventilé dédié au stockage et à la préparation des produits. De l’autre, équipé d’un masque à cartouche, il accède à une cabine fermée à flux vertical pour réaliser les opérations de laquage au pistolet. « Je transfère les produits directement dans la cabine de séchage attenante, ce qui évite les émanations de solvants dans l’atelier », poursuit-il. Il dispose également d’une cabine semi-ouverte avec aspiration horizontale pour des opérations ponctuelles.
« Au-delà des moyens mis en œuvre, un travail quotidien est mené sur la culture sécurité », intervient Anissa Ourif. Avec l’impulsion du groupe et en local, avec Janis Butlers, qui veille au déploiement des objectifs nationaux en fonction des besoins opérationnels. « Sa position permet d’avoir un feedback de la part de nos collaborateurs qui l’ont bien identifié en soutien de proximité. Récemment, ils nous ont alertés sur la zone finition car ils ont constaté qu’elle est vite encombrée et cela peut déborder sur l’atelier, au risque de dégrader la qualité de l’air ambiant, évoque Fabien Fournier. Une réflexion collective se met en place pour trouver des solutions d’aménagement, quitte peut-être à prévoir des travaux. » Grâce aux retours des collaborateurs, l'entreprise a investi pour de nouvelles tables aspirantes ergonomiques pour les opérations de ponçage. La preuve, une fois encore, que rien n’est figé.
AMÉLIORATION CONTINUE
En 2024, le sujet de fin d’étude d’une alternante portait sur l’amélioration esthétique et fonctionnelle du poste-type d’un ébéniste. Travailler au service du luxe implique de combiner ces deux notions : le sens du détail, lors des visites clients, doit transparaître jusque dans l’outil de travail. Parti d’un constat collectif d’encombrement du poste, un audit de l’ensemble des utilisateurs a été réalisé, avec l’idée que le compagnon doit rester acteur et partie prenante des solutions d’amélioration. Cela a abouti à la conception d’un nouveau poste d’ébéniste testé pendant six mois. Tous les réseaux nécessaires ont été intégrés dans le sol. L’établi a été amélioré avec intégration de tiroirs de rangement, des tables élévatrices sont disponibles à proximité, ainsi que des espaces de rangement des outils portatifs. En intégrant les améliorations sur la base des retours d’expériences dont les collaborateurs seront à l’origine lors de cette phase de test, un déploiement pourra être envisagé en 2026.