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Charlotte Lambert et Dr Didier Chevalier : « La clé est d’avoir une vision globale, d’aller au-delà des seuls entretiens médicaux »

Depuis avril 2024, le service de prévention et de santé au travail Astil 62 de Coquelles, dans le Pas-de-Calais, a lancé un programme destiné au suivi médical des intérimaires, intégrant un atelier de prévention. Une démarche innovante, impulsée par un médecin du travail, le Dr Didier Chevalier, et Charlotte Lambert, chargée de projets.

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Céline Ravallec - 03/12/2025
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Portrait de Charlotte Lambert et du Dr Didier Chevalier.

Travail & Sécurité. Pourquoi avez-vous décidé de vous consacrer au suivi des populations d’intérimaires dans le bassin de Calais ?

Dr Didier Chevalier. Tout au long de ma carrière – j’ai notamment suivi l’intégralité de la construction du tunnel sous la Manche, où de nombreux sous-traitants et intérimaires intervenaient, puis travaillé chez EDF, gros donneur d’ordres de la région –, j’ai été confronté à la situation compliquée de l’intérim : les demandes de visites médicales n’étaient souvent pas tenues dans les délais réglementaires, la prévention primaire envers ce public était inexistante. Après mon départ en retraite, j’ai repris une activité à temps partiel à l’Astil en 2023, avec le projet d’améliorer le service rendu aux intérimaires. En parallèle, Charlotte Lambert réfléchissait également, en tant que chargée de projets à l’Astil 62, à la question du suivi des intérimaires, étant donné que l’intérim était un enjeu majeur dans la région. Nous avons donc décidé de créer au sein du service une équipe dédiée aux questions liées à l’intérim qui comprend : un médecin, une infirmière, une technicienne et une conseillère en prévention des risques professionnels ainsi qu’une assistante d’équipe pluridisciplinaire.

Charlotte Lambert et le Dr Didier Chevalier en situation d'interview.

Une fois cette équipe constituée, comment ont été définis ses objectifs ?

D. C. Notre service de prévention et de santé au travail compte trois principales missions : accompagner la prévention primaire des risques professionnels, assurer un suivi de l’état de santé des salariés et, enfin, prévenir la désinsertion professionnelle. Avec comme premier objectif, faire en sorte que les entretiens médicaux des intérimaires soient réalisés dans les délais réglementaires. Désormais, avec cette organisation, le délai d’attente pour un entretien est au plus d’un mois. En cas d’urgence, la visite se tient dans la semaine. Le deuxième objectif était d’agir en prévention primaire. Pour ce faire, nous avons mis en place un atelier de prévention. Nous avons pu aménager une pièce dédiée à l’accueil des intérimaires afin d’organiser des ateliers permettant de creuser avec eux les questions de santé au travail.

Charlotte Lambert. De cette façon, chaque intérimaire, lors de sa venue pour l’entretien médical, est reçu ensuite pendant 20 minutes à l’atelier prévention. Dans cette pièce, il ou elle suit un scénario en rapport avec son activité professionnelle, soit sous forme d’un casque de réalité virtuelle qui l’immerge dans un environnement de travail, soit sous forme d’affiches « Chasse aux risques 360° », soit par la diffusion sur un grand écran tactile d’un « TutoPrév » de l’INRS. Nous comptons actuellement 54 scénarios différents. C’est un moment qui permet à chaque intérimaire de se poser pour observer une situation de travail, repérer et identifier des risques. C’est aussi l’occasion d’un échange plus large avec la conseillère ou la technicienne en prévention des risques, qui aborde divers sujets en sécurité au travail en fonction du profil et de l’emploi occupé par l’intérimaire. Mais au-delà de cet accueil des intérimaires, nous avons également développé les échanges avec les agences d’emploi et les entreprises utilisatrices.

Comment cela s’est organisé ?

C. L. L’objectif premier était de tisser des liens prioritaires avec les salariés permanents d’agences de travail temporaire, et notamment les responsables. Toute l’équipe est allée à leur rencontre. Cette démarche volontaire témoignait de notre volonté de mettre des moyens sur l’intérim, et cela permettait de faire connaissance. Quand on se connaît, les échanges sont plus faciles, plus fluides, tout devient plus simple. Nous organisons également un petit déjeuner deux à trois fois par an, sur un thème précis, auquel nous convions toutes les agences. C’est l’occasion pour leurs membres d’échanger entre homologues sur des questions ou des préoccupations communes. Les contrôleurs de sécurité de la Carsat Hauts-de-France y participent également.

D. C. De la même façon, nous avons cherché à tisser des liens avec les entreprises utilisatrices qui accueillent les intérimaires pour leurs missions. Mais l’échelle n’est pas la même : les trois centres de l’Astil suivent autour de 8 400 entreprises, ce qui représente 110 000 salariés. Il s’agit pour certaines de grands donneurs d’ordres nationaux, pour d’autres d’entreprises locales. Avec ces entreprises, le plus dur est de trouver la porte d’entrée et d’identifier les préventeurs en interne. Mais une fois qu’un contact est noué, la démarche est ensuite bien comprise et accueillie. Ces entreprises ont à cœur de jouer leur rôle en matière de prévention pour les salariés intérimaires. Le monde de l’intérim a beaucoup évolué ces vingt dernières années. J’ai été très surpris par le nombre de « professionnels de l’intérim », par rapport à il y a 30 ans. La majorité ont des diplômes qualifiants et les entreprises utilisatrices sont bien plus attentives à leurs conditions de travail, les intérimaires y sont bien mieux considérés qu’avant. Et désormais, elles nous contactent pour certaines questions. Par exemple, l’une d’elles nous a sollicités pour un avis sur l’acquisition d’un exosquelette pour un poste de magasinier intérimaire.

Avez-vous eu des inquiétudes au début du projet ? 

D. C. Il y avait énormément de questions vis-à-vis des différents acteurs. Tout changement est toujours source d’inquiétude. En mettant sur pied les ateliers de prévention, j’étais conscient que cela représentait un coût pour les agences d’intérim car ce sont elles qui rémunèrent la demi-heure d’atelier en plus de la demi-heure d’entretien médical. Mais aucune ne nous a fait la moindre remarque sur le sujet. Toutes les réserves et les doutes que j’avais avant de lancer le projet, que ce soit vis-à-vis des intérimaires, des agences d’emploi, des entreprises utilisatrices, des médecins confrères, ont été rapidement levés. Et au niveau de notre direction, nous avons toujours été soutenus et accompagnés.

C. L. Les résultats vont même au-delà des attentes. Il est clair que les échanges que nous avons réussi à construire n’auraient jamais pu voir le jour sans l’existence de l’équipe dédiée telle qu’elle est structurée.

Charlotte Lambert et le Dr Didier Chevalier en situation d'interview.

Quel bilan tirez-vous après un an et demi de fonctionnement ? Et comment envisagez-vous la suite ?

D. C. Aujourd’hui, tous les signaux sont au vert. Nous avons réussi à construire une relation de confiance avec les différents acteurs. Avec cette organisation, nous assurons les rendez-vous médicaux pour le suivi réglementaire, nous menons des actions de prévention pour les salariés intérimaires, nous parvenons à agir sur le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle. La clé est d’avoir une vision globale du sujet, d’aller au-delà des seuls entretiens médicaux. Un questionnaire de satisfaction délivré aux intérimaires pour recueillir leur avis, distribué entre juin et septembre derniers, a donné des résultats très encourageants : 77 % ont déclaré avoir bénéficié de nouvelles connaissances dans le cadre des ateliers prévention, et même 100 % se disent prêts à mettre en œuvre les préconisations délivrées ! Le gros dossier qui nous attend désormais va être de tracer les expositions professionnelles, en reconstituant le parcours des intérimaires, l’intensité de leurs expositions, la nature des produits chimiques rencontrés. Cela s’annonce un sujet vaste et compliqué.

REPÈRES

> Dr Didier Chevalier

• 1980 : début en tant que médecin du travail en service interentreprises

• 2006 à 2019 : médecin du travail à la centrale nucléaire de Gravelines

• 2019 à 2023 : médecin des Sapeurs-pompiers

• 2023 : reprise d’activité en tant que médecin du travail à l’Astil 62 à temps partiel

> Charlotte Lambert

• 2016-2018 : responsable de secteur dans l’aide à domicile

• Depuis 2019 : chargée de projets à l’Astil 62

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