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L'aménagement de bureaux

« Penser collectivement le travail en open-space »

Docteure en ergonomie, Marlène Cheyrouze a conduit deux études en ergonomie de l’activité dans des espaces de bureaux ouverts et de coworking, dans le cadre d’un projet sur la santé au travail initié par l’université de Téluq (Québec). Entretien.

3 minutes de lecture
Grégory Brasseur - 23/01/2025
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Vue d'une situation de travail en open-space.

Vous avez mené des travaux visant à documenter la réalité du travail en espaces ouverts et de coworking. De quoi s’agit-il ?

Marlène Cheyrouze. Ce sont deux études en ergonomie menées en 2022 et 2023 dans cinq espaces de coworking et six structures (deux ministères, trois organisations en économie sociale, une entreprise privée) de la région de Montréal. Elles s’inscrivent dans un projet de recherche sur la santé au travail dans les espaces de bureaux ouverts monté par Diane-Gabrielle Tremblay à l’Université de Téluq, au Québec, et financé par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). Elles consistaient en deux heures d’observations lors des journées les plus fréquentées (du mardi au jeudi), suivies d’un questionnaire et d’un entretien. Je me suis en partie intéressée aux interactions sociales spontanées. Si les espaces ouverts sont généralement présentés comme vecteurs d’interactions favorisant la collaboration entre les personnes, différents travaux ont démontré que le bruit, en particulier lié à la parole intelligible, y constitue la première nuisance. J’ai donc voulu comprendre les conditions et caractéristiques des interactions sociales spontanées, mais aussi regarder la façon dont les personnes gèrent leurs appels téléphoniques et visioconférences, relever leur niveau de concentration perçu et les stratégies d’occupation déployées pour maintenir la concentration. Ce travail a porté sur 87 personnes dans les espaces de coworking et 69 personnes dans les organisations.

Quels en sont les principaux enseignements ?

M. C. Dans les espaces de coworking, la majorité des appels téléphoniques a lieu dans les cabines prévues à cet effet. On ne prendra dans l’aire ouverte qu’un appel imprévu ou que l’on évalue de courte durée et sans contenu sensible. Les principales interactions se font entre collègues ou autour d’une même table. Seuls les habitués de l’espace de coworking, qui se sont familiarisés avec l’environnement, interagissent avec d’autres groupes de professionnels. Dans les organisations, il semble collectivement admis de traiter la majorité des appels et des visioconférences dans l’aire ouverte. On s’isolera plutôt pour les appels privés. Les interactions impliquent souvent un déplacement volontaire, hors de sa zone de travail. Le travail présentiel est saisi comme une opportunité pour la communication orale et spontanée. Et malgré les perturbations liées aux conversations et interactions sociales non choisies, les personnes évaluent plutôt positivement leur concentration. En termes de stratégies d’occupation, nous avons relevé le port de casques ou d’écouteurs, la localisation du poste de travail dans l’espace, mais aussi une tendance à planifier les journées de télétravail pour mieux maîtriser l’environnement sonore.

Cela permet-il de dégager des pistes pour la conception ou l’aménagement de ces espaces ?

M. C. Dans les espaces de coworking, l’encadrement de la dynamique des interactions sociales est déterminant. Les gestionnaires de ces espaces pourraient adapter le recrutement des membres en fonction des capacités du lieu ou réfléchir aux aménagements en fonction du nombre de salariés et de leurs interactions. On ne peut qu’encourager à proposer des zones silencieuses et des zones dédiées à la collaboration ; aménager des cabines téléphoniques en nombre suffisant en veillant à l'insonorisation, la superficie, l'équipement ; ou encore s’appuyer sur l’existant pour construire avec les utilisateurs de l’espace des règles collectives. Dans les organisations, les travailleurs ont besoin de marges de manœuvre matérielles spatiales et temporelles. Il faut laisser la possibilité de porter des écouteurs, généraliser les écrans fixes aux postes de travail, créer des îlots de proximité permettant aux personnes collaborant régulièrement de s’installer dans une même zone en leur garantissant des journées de présence en commun… Enfin, chaque organisation doit construire selon ses spécificités l’organisation du travail hybride, avec alternance de présentiel pour le maintien de la cohésion, et de distanciel pour les tâches individuelles nécessitant du calme. Se laisser le temps d’associer les personnes concernées et s’accorder collectivement sur la possibilité de réadapter les choix aux besoins s’ils évoluent peut contribuer à prévenir les situations de conflit ou de stress.

REPÈRES

« Le travail dans les espaces ouverts et de coworking : deux études en ergonomie de l'activité », rapport de recherche scientifique, Marlène Cheyrouze et Diane-Gabrielle Tremblay, université Téluq (Québec), IRSST, 2024

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