« Trop bien ! » « Il crache du feu… » « On voit loin, là-haut. » À n’en pas douter, les enfants de cette classe de CE2/CM1 qui viennent de terminer leur voyage avec le Dragon de Calais sont ravis. Mais derrière cette énorme machinerie, des hommes et des femmes sont à l’œuvre, au quotidien, pour que ce voyage leur laisse un souvenir impérissable.
Cela fait plus de cinq ans, que le Dragon de Calais déambule sur le front de mer de cette ville du Pas-de-Calais. « En 2016, la maire de Calais a donné carte blanche à François Delarozière, de l’association La Machine, pour qu’il en réalise une qui devienne emblématique de la ville. Il connaissait très bien notre territoire, entre terre et mer, et a imaginé un dragon pour compléter ce diptyque et apporter le feu… », relate Stéphane Ribeiro Da Ascencao, le directeur communication et marketing de la Société publique locale. Fabriqué à Nantes pendant plus de deux ans, par plus de 60 personnes représentant 80 métiers, le dragon a ensuite été embarqué en trois parties sur un bateau. À son arrivée, le 31 octobre 2019, Calais l’accueillera avec trois jours de fête.
LE DRAGON EN CHIFFRES
2 ans ont été nécessaires pour sa fabrication à Nantes, auxquels il faut ajouter 1 année pour la conception
75 tonnes, 25 mètres de long, 10 à 11 mètres de haut, 17,5 mètres d’envergure lorsque les ailes sont déployées n 98 vérins à maintenir en parfait état – malgré le vent, le sable, le sel et l’eau – pour l’articuler manuellement (rien n’est automatisé)
48 personnes transportées par voyage
6 personnes sont nécessaires pour réaliser un voyage de 45 minutes environ
800 m/h, telle est sa vitesse de déplacement
La Compagnie du Dragon, qui exploite le Dragon de Calais, fait partie de la Société publique locale et emploie 30 personnes à l’année, plus de 15 saisonniers.
Rendez-vous à 7 h 30, un matin de mai 2025, cinq ans plus tard, dans la nef, ce local tout en verre qui sert à stocker le dragon, à proximité du front de mer où il a ses habitudes. « Nous avons refait son toit, et ses portes étant particulièrement lourdes, nous avons acheté un chariot-pousseur qui devrait arriver sous peu », précise Sébastien Gossart, le directeur de pôle exploitation technique de la Compagnie du Dragon. Depuis 6 heures du matin, les techniciens sont là. « On intervient avant l’arrivée des pilotes, explique Frédéric Thirard, l’un d’eux et membre du CSE. On a un logiciel de GMAO - Gestion de la maintenance assistée par ordinateur - dans lequel sont consignées les interventions à effectuer, en plus de la maintenance préventive. »
Six personnes aux commandes
La veille, en fin de journée, les pilotes et techniciens du dragon y ont noté les problèmes identifiés. Aujourd’hui, Frédéric Thirard, du haut de sa nacelle « très pratique pour accéder dans les moindres recoins », effectue surtout des opérations de graissage. « Le vent, le sable, le sel… tous ces éléments usent énormément les vérins notamment, qui sont au nombre de 98, explique Sébastien Gossart. Nous devons sans cesse les graisser. Et au moins une fois par an, nous devons vernir l’ensemble du dragon qui est en bois peint. » Petit à petit, les pilotes-techniciens arrivent. Au total, il faut six personnes pour réaliser un voyage, celles-ci changeant de poste toutes les deux heures.
CONSIGNATION/DÉCONSIGNATION
Jean-François Duhr est venu sensibiliser les techniciens intervenant sur les 130 vérins et cerveaux moteurs du dragon, notamment pour les opérations de consignation/déconsignation. « La difficulté est que le dragon est une œuvre d’art, chaque pièce est unique, insiste Sébastien Gossart. Ce n’est pas considéré comme une simple machine... »
Un pilote conduit le dragon, mais comme il a une visibilité réduite, il travaille en binôme avec une personne au sol qui le guide et gère les expressions du dragon : les yeux, les crachats d’eau ou de feu, les paupières… Sur le dragon, une personne – un médiateur – est au milieu des spectateurs (48 personnes au maximum par voyage) pour expliquer le fonctionnement de la machine et faire découvrir la ville. Au sommet du crâne de la bête, un pilote dirige sa tête, tandis qu’un autre, à l’autre extrémité, s’occupe de la queue qui peut aussi projeter de l’eau.
Enfin, une sixième personne s’assure, au sol, que les personnes attirées par le dragon – et elles sont nombreuses – n’entravent pas sa progression. « Régulièrement, nous devons éloigner des gens, arrêter des enfants à vélo… il faut être très vigilants car même si le dragon progresse à moins d’un kilomètre par heure, c’est une grosse machine de 75 tonnes. » D’ailleurs, pour des raisons de sécurité toujours, elle ne déploie que partiellement ses ailes si le vent souffle entre 24 et 28 km/h, et pas du tout s’il excède les 28 km/h.
Un dragon bruyant
Avant le début des voyages, les pilotes-techniciens procèdent systématiquement à un contrôle de 30 points. Puis ils testent le fonctionnement des modes de communication. Car une fois partis, les pilotes-techniciens seront sans cesse en liaison, pour être parfaitement coordonnés, certaines animations nécessitant une double validation avant d’être déclenchées. Les communications se faisant dans le bruit – émanant de la machinerie ou des effets sonores du dragon –, la Carsat Hauts-de-France et le service de prévention et de santé au travail se sont penchés sur le niveau sonore perçu par les salariés, les pilotes ou les techniciens.
CONCEPTION DES LIEUX ET SITUATIONS DE TRAVAIL
Les locaux sociaux, le restaurant, les bureaux, les ateliers sont, aujourd’hui, installés dans des bungalows de chantier, plutôt bien aménagés. Du provisoire qui a duré... Tout près, côté mer, un chantier est en cours. Ce sont les nouveaux bâtiments de la Compagnie du Dragon. « Nous avons pu intervenir très tôt sur ce projet, affirme Jean-François Duhr, contrôleur de sécurité à la Carsat Hauts-de-France, en apportant des conseils sur la conception des lieux et situations de travail. Un dossier conseil reprenant l’ensemble des préconisations a été rédigé avec mon collègue Matthieu Gouteyron et remis à l’entreprise. » « Ils ont été précieux, nous les avons fait remonter à notre donneur d’ordre, certains pourront être pris en compte », explique Sébastien Gossart.
« L’Astil - Service de prévention et de santé au travail du 62 - a réalisé une cartographie des mesures de bruit que le Centre de mesures physiques de la Carsat (CMP) a complété par des mesures de bruit sous les casques des intervenants, explique Jean-François Duhr, contrôleur de sécurité à la Carsat Hauts-de-France. Cela nous a permis de réaliser une cartographie 3D, avec les principales sources de bruit identifiées par des zones rouges, orange et vertes. Puis de proposer des actions de traitement des sources, d’amélioration de l’organisation du travail, ainsi que des mesures de prévention collectives et individuelles. » Ainsi, la purge d’air, nécessaire après avoir craché du feu durant sa sortie, ne se fait plus dans la nef qui a tendance à amplifier le bruit (> 100 dB(A)). Des pompes – particulièrement bruyantes – ont pu être isolées.
Enfin, les pilotes vont bientôt bénéficier de nouveaux équipements de protection individuelle. « Nous étions face à une double problématique : nous devions réduire le niveau sonore, mais ils doivent continuer à s’entendre entre eux », remarque Sébastien Gossart. Les casques s’avérant lourds, il est envisagé de les remplacer par des bouchons d’oreilles moulés, associés à des casques à conduction osseuse, très légers. D’abord testés, ils ont été approuvés par les pilotes avant d’être commandés.
Mais l’aventure ne s’arrête pas au seul dragon : un varan va bientôt le rejoindre. « Les 7, 8 et 9 novembre prochains, nous allons l’accueillir. Il est en cours de construction à Nantes, précise le directeur communication et marketing. Celui-ci va bénéficier des réflexions et des améliorations qui ont été apportées au dragon. » « Chaque mois, une personne de la Compagnie va à Nantes pour apporter ses connaissances, et aussi se former au nouvel animal », complète Sébastien Gossart. « Cela permet d’éviter certaines erreurs et d’apporter des améliorations dès la conception », poursuit Jean-François Duhr. Dans les prochaines années, de nouvelles créatures devraient arriver à Calais… Elles bénéficieront des améliorations apportées sur le dragon et le varan.
LA PRÉVENTION SE NICHE DANS LES DÉTAILS
• Durant les mois les plus chauds, la protection contre les intempéries installée au-dessus du pilote qui conduit le dragon est remplacée par une toile de type parasol pour éviter les coups de chaleur.
• Toutes les deux heures, l’ensemble des pilotes-techniciens changent de poste, afin d’éviter la lassitude, les coups de chaleur ou encore les positions inconfortables comme celle du pilote de la tête.
• Des petits espaces de rangement – pour les vêtements, la crème solaire, les bouteilles d’eau par exemple – ont été disséminés sur le dragon.
• Une poulie a été installée à l’arrière du dragon pour replier sans porter les marches du petit escalier qui est embarqué quand le dragon effectue plusieurs voyages d’affilée sans revenir à son « enclos ».